Èric Chaurette1

La recherche paysanne: une science de terrain

Réunie sous un chapiteau érigé avec des perches et couverts d’étoffes colorées, une délégation de producteurs cotonniers du Burkina Faso écoute attentivement les récits de femmes rurales indiennes, devenues veuves, car leurs époux ont préféré s’enlever la vie au lieu de continuer à crouler sous des dettes – des dettes qu’elles attribuent directement à l’échec du coton Bt, un coton transgénique de Monsanto.

« Nous ne voulons pas que cela se produise chez nous » remarque Élisé, un producteur cotonnier qui cultive le coton Bt au Burkina Faso. Mais Élisé est plus qu’un producteur. Il est aussi chercheur. Depuis 2014, Élisé et 202 autres producteurs burkinabè participent en tant que « producteurs-chercheurs » au projet de recherche paysanne Le coton Bt et nous: la vérité de nos champs. En octobre 2017, à Ouagadougou, la recherche fut lancée devant une salle comble et Élisé était parmi deux autres producteurs-chercheurs sur la scène, à présenter les constats de la recherche, sous l’oeil des caméras, d’un public intéressé, et aussi sous l’oeil irrité de quelques membres de l’Agence nationale de biosécurité du Burkina Faso.

Mais revenons d’abord un peu en arrière…

Origines

Seul pays de l’Afrique de l’Ouest à avoir accepté l’introduction des OGM, le coton Bt a fait son apparition au Burkina Faso en 2003. À l’époque, le pays était toujours dirigé par une main de fer par son président, Blaise Compaoré, et toute dissidence ou critique était découragée.

Malgré cela, la Coalition pour la protection du patrimoine génétique africain (COPAGEN), une coalition qui a comme mission de défendre les droits des communautés sur leurs ressources génétiques, a organisé une caravane pour contester les OGM et le coton Bt au Burkina Faso en 2008. Depuis un certain temps, la COPAGEN désirait mener une étude sur l’impact du coton Bt. Malgré l’assurance par ses tenants que le coton OGM était sûr et supérieur au coton conventionnel, très peu d’études avaient été menées sur l’impact possible de son introduction au Burkina Faso sur la santé, l’environnement et l’économie – et aucune avec les agriculteurs eux-mêmes. La COPAGEN ose poser cette question: comment ces derniers peuvent-ils faire un choix éclairé sans connaître pleinement l’impact de la technologie sur leurs moyens de subsistance?

Plusieurs tentatives de recherche furent entamées, mais ont échoués dû à un manque de ressources. C’est durant un voyage d’échange entre la COPAGEN et la Deccan Development Society (DDS), une ONG indienne qui milite pour l’agroécologie et la souveraineté alimentaire, qu’une solution a été trouvée.
Fondée en 1983, la DDS travaille avec une association de 5 000 femmes Dalits (parfois surnommées « intouchables ») dans l’état de Telangana. Elle les accompagne afin qu’elles puissent s’affranchir et devenir des citoyennes de plein droit, malgré leur niveau social marginalisé par leur caste. L’approche de la DDS consiste à regrouper des femmes en sanghams (associations villageoises de femmes), et à les soutenir à cultiver la terre en n’utilisant que des semences locales et adaptées au milieu, et sans l’apport d’intrants. Une mise en marché des produits, gérés par des coopératives de femmes, assure aussi une plus grande autonomie sur le marché. En trois décennies, la DDS a réussi à transformer une région qui souffrait de la faim, en un grenier où règne la souveraineté alimentaire.

La DDS a vite compris les risques que posent les OGM, tant sur les plans écologiques que sociaux. Alors, lorsque le coton Bt fut introduit en Inde, la DDS s’y est farouchement opposée. Alors que peu d’information indépendante existait sur les impacts de ce coton transgénique, la DDS a conçu une méthode de recherche participative et où le producteur de coton serait placé au centre. C’est ainsi que pendant trois années, la DDS a mené une recherche paysanne sur les impacts du coton Bt en Inde. Cette recherche fut documentée dans le film: Bt cotton: a three-year fraud. https://www.youtube.com/watch?v=yafNIJykNUw.

Lors d’un échange organisé par Inter Pares en 2012 avec des leaders de la COPAGEN en Inde, les participants ont pu visionner le documentaire, et rencontrer l’équipe de chercheurs qui avaient encadré l’étude. L’approche était jugée tout à fait applicable au contexte ouest-africain et c’est ainsi qu’au retour, le projet avait été lancé au Burkina Faso.
Au départ, la recherche s’est intéressée à toutes les zones de production de coton du Burkina Faso, et 603 producteurs cotonniers se sont associés à la recherche. Cet engouement de la part des producteurs pour cette recherche témoigne bien du désir d’être mieux informé sur les impacts du coton Bt.

Les 603 producteurs-chercheurs étaient constitués en cellules de recherche d’environ 20 à 30 producteurs. Une coordinatrice de la recherche a fourni la formation des producteurs chercheurs (documentation de coûts des semences, du prix vendu du coton, des quantités d’intrants (pesticides, herbicides, engrais) et comment bien noter toute cette information dans des fiches conçues à cette fin.

Après une première année, les données recueillies furent dévoilées lors du Forum COPAGEN. L’ampleur de la recherche était saluée, mais pour des fins de rigueur, la COPAGEN a décidé de réduire la zone d’étude aux trois principaux états de production de coton, et de réduire l’équipe de chercheurs-producteurs de 603 à 203 producteurs chercheurs. Sur ces nouvelles bases, la recherche s’est poursuivie pour enfin être publiée dans l’ouvrage: Le coton Bt et nous: la vérité de nos champs.
https://interpares.ca/sites/default/files/resources/le-coton-bt-et-nous-web_0.pdf.

Un documentaire relatant les constats de recherche a aussi été produit: Le coton Bt au Burkina Faso, la moisson des désillusions: https ://interpares.ca/node/1521.

 

L’échec du coton Bt

Comme pour l’Inde, les constats de la recherche sur le coton Bt sont accablants:

• Les semences de coton Bt étaient, en moyenne, 18 fois plus chères que les semences de coton conventionnel.
• Les rendements moyens du coton Bt ont été inférieurs de 7 % à ceux du coton conventionnel.
• Les agriculteurs ont noté que les insectes ciblés par le coton Bt développaient une résistance croissante à la toxine Bt dans les plants GM, ce qui les forçait à augmenter les applications de pesticides pour tenter de contrôler les attaques. Un avantage clé du coton Bt était censé être qu’il allait réduire l’utilisation de pesticides.
• Sur trois saisons, les économies réalisées au début par les agriculteurs en raison d’une moindre utilisation de pesticides se sont inversées: la culture du coton Bt leur coûtait maintenant 7 % plus cher que celle du coton conventionnel.
• L’absence de zones refuges entre les champs OGM et non-OGM et l’absence de mesures de confinement des semences de coton GM pour éviter la contamination du coton conventionnel.
• Les agriculteurs ont également exprimé des inquiétudes quant à l’impact du coton GM sur la santé et l’environnement.

La reconnaissance de ce qui est «scientifique»

En octobre 2017, le rapport de recherche ainsi que le documentaire furent présentés à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso. Dans le cadre de ce lancement, une rencontre a aussi eu lieu entre l’Agence nationale de biosécurité du Burkina Faso (l’agence qui est responsable de faire appliquer les lois concernant les OGM) et les responsables de la recherche paysanne pour discuter de la recherche et de ses résultats. La perspective de l’Agence était qu’il faut laisser aux « vrais » scientifiques le soin d’évaluer les OGM et qu’un producteur-chercheur n’est pas scientifique. Cependant, l’Agence n’a pas voulu, ou n’a pas pu, contredire les constats de la recherche ci-haut mentionnés. Des informations recueillies par les producteurs eux-mêmes, qui cultivent leur terre, qui savent combien ils dépensent, et gagnent par la vente du coton. Ces informations ne pouvaient être contestées.

Conclusion

L’expérience de la recherche paysanne sur l’impact du coton Bt au Burkina Faso est d’une importance capitale. Cette recherche a permis aux producteurs de coton d’observer et de documenter l’impact et les dommages découlant de l’introduction du coton Bt au Burkina Faso.

Mais au-delà des constats de la recherche, le processus de recherche lui-même fut fort important. D’abord, l’approche producteur-chercheur est une approche éprouvée, qui rend la recherche scientifique accessible aux populations qui ont peu de ressources financières. Ces centaines de producteurs sont aussi aujourd’hui outillés à mieux observer et documenter ce qu’ils font sur leurs terres. Ces connaissances et ce développement du sens critique sont transmissibles à d’autres activités. Les producteurs-chercheurs ont pu constater par eux-mêmes l’échec du coton Bt, et la prochaine fois qu’ils se feront miroiter des promesses sur les bienfaits supposés des OGM, ils ne seront pas dupes.

Enfin, le lancement des résultats de la recherche paysanne se faisait aussi dans un contexte intéressant. Depuis un certain temps, les compagnies cotonnières observaient que les fibres du coton Bt étaient systématiquement plus courtes que celles du coton conventionnel, ce qui le rendait moins attrayant sur le marché international. En 2015, incapables de vendre le coton Bt, les sociétés de coton au Burkina ont demandé aux producteurs de réduire progressivement la production de coton Bt pour revenir au coton conventionnel. En 2017, il ne se cultivait plus de coton Bt au Burkina Faso et la firme Monsanto a dû compenser les sociétés cotonnières pour la perte de leurs marchés.


[1] Eric Chaurette travaille au sein de l’organisation canadienne de justice sociale Inter Pares www.interpares.ca. Depuis 2005, Eric appuie des luttes au Canada, en Asie, et en Afrique pour l’agroécologie, la souveraineté alimentaire et le contrôle des ressources.

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